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Session 1 : Le modèle européen de préhistoire et la construction d’une préhistoire tropicale et subtropicale

 

Sous-session 1 : La construction du comparatisme ethnographique en tant que méthode en préhistoire

Discutant Emmanuelle Sibeud (Département d’histoire, université Paris 8)

Maria Beatrice Di Brizio : Edward Burnett Tylor et les Researches into the Early History of Mankind and the Development of Civilization (1865) : préhistoire exotique et généralisation de l’âge de la pierre

Edward Burnett Tylor (1832-1917), figure de proue de l’anthropologie britannique de l’époque victorienne, est rarement reconnu pour ses apports théoriques aux sciences de la préhistoire. Hormis ses définitions du comparatisme ethnographique comme moyen d’accès au passé immémorial de l’homme, ses réflexions sont peu évoquées par les historiens de ces disciplines.Néanmoins, les recherches d’Arnaud Hurel ont bien montré qu’il avait contribué aux débats des années 1860, en théorisant la succession des âges de la pierre et des métaux en Chine, dans l’ouvrage intitulé Researches into the Early History of Mankind and the Development of Civilization. En suivant ces suggestions historiographiques, nous allons nous interroger sur le traitement tylorien de la préhistoire exotique et focaliser notre analyse sur la première édition des Researches, publiée à Londres en 1865 et préparée dans les années 1862-1864. Nous verrons ainsi que cet ouvrage s’efforce de généraliser l’âge de la pierre à toutes les régions du globe. En abordant ce véritable défi, que des préhistoriens reconnus tels John Lubbock (1834-1913) refusaient de relever à la même époque, Tylor propose un excursus comparatiste des connaissances sur l’archéologie, la linguistique et l’ethnographie extra-européennes, et des données sur la préhistoire, les langues et le folklore européens. Nous nous attacherons à mettre en évidence les aspects méthodologiques et les enjeux cognitifs des pages des Researches visant à démontrer l’universalité de l’âge de la pierre, ainsi que les outils conceptuels employés par Tylor : les notions de traces, cases of superstition, relics, qui seront ultérieurement désignées par le terme survivals.

 

Adèle Chevalier (Muséum national d’histoire naturelle, UMR 7194) : Définir la « préhistoire exotique » par ses objets muséaux

Les musées ont associé les sociétés extra-européennes à la préhistoire via le comparatisme ethnographique – en exposant conjointement l’archéologie nationale et l’ethnographie du lointain – ou en confondant ethnographie des peuples « primitifs » actuels et anciens.

Lorsque, dans le premier tiers du XXe siècle, l’utilisation du comparatisme ethnographique par les préhistoriens fut de plus en plus discutée, les collections ethnographiques tombèrent en désuétude dans les institutions muséales intéressées par l’archéologie. Et, bien que des vestiges préhistoriques extra-européens affluaient vers l’Europe déjà au XIXe siècle, ce moment fut également celui d’une reconnaissance progressive d’une préhistoire en dehors de l’Europe et du développement de fouilles et de travaux scientifiques dans ces zones.

Le Musée d’ethnographie du Trocadéro (MET) inaugura en 1933 une salle de préhistoire exotique, séparant alors le « primitif » ancien de l’actuel. Cette communication vise à comprendre le changement de statut opéré sur les collections de préhistoire extra-européenne au moment où celle-ci se constitue et s’institutionnalise. Qu’est-ce qu’acte l’acceptation muséale d’une « préhistoire exotique », qu’est-ce qui y est inclus et exclus ? Est-ce le moment de la séparation de l’Ailleurs et de l’Ancien ou les passerelles entre ethnographie et préhistoire restèrent-elles ancrées malgré une muséographie qui, au Trocadéro, passe un cap en les dissociant ? Que cela signifie-t-il de la façon dont les institutions scientifiques européennes voyaient les sociétés dites « primitives » et leur passé ancien ?

Ces questions seront posées via l’analyse de l’itinéraire muséal d’un échantillon des collections de préhistoire dite exotique du MET, de leur appréhension par les acteurs scientifiques et muséaux et des pratiques dont elles furent l’objet.

 

Maddalena Cataldi (Muséum national d’histoire naturelle, UMR 7194) : De l’art aborigène à l’art primitif. Circulation et construction du savoir ethno/préhistorique dans l’Empire britannique

L’archéologie préhistorique, quand elle émerge dans la seconde moitié du XIXe siècle, dispose alors d’un vaste patrimoine de données qui ont convergé vers les associations métropolitaines de la totalité des territoires coloniaux depuis des siècles. Parmi ce patrimoine, nous nous intéressons aux relevés des peintures wandjina australiennes publiés par George Grey (1812-1898) en 1841, republiés encore en 1906 dans La caverne d’Altamira à Santillana près Santander (Espagne) par H. Breuil et E. Cartailhac.

Le papier retrace brièvement les circonstances de cette découverte et la replace dans le contexte des débats contemporains sur l’ancienneté et l’origine des peuples auteurs de ces peintures. Observateur perspicace et administrateur despotique – selon la définition de George Stocking –, l’ethnographie pratiquée par Grey sert de base pour les politiques sociales de la colonie.

 

Beatrice Falcucci (Fondazione Luigi Einaudi Turin/American Academy in Rome) : Des fossiles vivants : "palethnologie" et collections ethnographiques dans les musées coloniaux italiens (1871-1940)

Pour l’Italie, le moment de l’expansion coloniale coïncide avec le développement des disciplines scientifiques positivistes : "palethnologie" (archéologie préhistorique), ethnologie et anthropologie. La communication soulignera comment le développement et la diffusion de ces disciplines, consacrées à la construction scientifique de la préhistoire nationale, coïncide avec le processus de légitimation de la conquête des nouveaux territoires coloniaux.

L’étude, prenant en compte les collections des musées métropolitains et coloniaux italiens, se focalisera sur les interactions entre les objets ethnographiques actuels produits par les sujets coloniaux et les vestiges fossiles et "palethnologiques" des populations italiennes préromaines. La présentation analysera les évolutions des principaux musées d’ethnographie italiens dans l’intervalle chronologique ouvert par les mots de Luigi Pigorini sur les « sauvages et barbares vivants » au Congrès international d’Anthropologie et archéologie préhistoriques (Bologne, 1871) jusqu’à la fondation du Muséum d’histoire naturelle de Tripoli (Lybie, 1940).

 

Sous-session 2 : Construire une préhistoire locale : études de cas 

Discutant Claude Blanckaert (CNRS, UMR 8560 Centre Alexandre Koyré) 

Alice Leplongeon (Katholieke Universiteit Leuven) : Influences du modèle européen de préhistoire en Egypte au début du XXe siècle : exemples des recherches de Paul Bovier-Lapierre (1873-1950) et Edmond Vignard (1885-1969)

« Mais une société humaine ne vient pas au monde toute faite. La civilisation égyptienne a dû avoir, comme celles de l’Europe, ses âges préhistoriques et barbares. Toute la question est de savoir si ces périodes primitives d’enfantement ont eu lieu sur les bords du Nil, ou si, au contraire, les Égyptiens n’y vinrent qu’après s’être constitués tels que nous les trouvons dans l’histoire. » (Arcelin 1870, p. 156)[1]

La préhistoire égyptienne se distingue de la préhistoire d’autres régions africaines, notamment dans l’emploi de terminologies spécifiques à la région, souvent issues du modèle européen de préhistoire. Cela transparaît par exemple dans la persistance de l’emploi de la terminologie européenne ‘Paléolithique’, particulièrement pour les phases récentes du paléolithique, par rapport à la terminologie africaine Stone Age en vigueur sur tout le reste du continent africain, y compris en Afrique du nord-ouest. Or, la situation géographique unique de la Vallée du Nil en fait une région clé dans les problématiques liées aux expansions des hominines hors d’Afrique mais également retour en Afrique, problématiques qui connaissent récemment un regain d’intérêt en lien avec les développements des études génétiques. Les comparaisons des données archéologiques égyptiennes avec celles des régions voisines sont cruciales afin de discuter les hypothèses de contacts entre populations au cours de la préhistoire. Les publications récentes s’intéressant à ce sujet soulignent cependant la difficulté de telles comparaisons et évoquent plusieurs raisons à cet état de fait, incluant le manque de recherches récentes dans la région, la nature et le type de sites préhistoriques préservés, mais également un isolement ‘artificiel’ lié à l’histoire des recherches préhistoriques en Égypte, et notamment à son passé pharaonique qui aurait d’emblée mise à l’écart la préhistoire égyptienne et aurait influencé les interprétations de son enregistrement archéologique.

Cette présentation aborde ce dernier point et a pour objectif de contribuer à mieux comprendre dans quelle mesure l’histoire des recherches préhistoriques en Égypte peut avoir créé des paradigmes encore en vigueur aujourd’hui. Il s’agira tout d’abord de présenter un bref panorama de la construction et du développement de la préhistoire en Égypte, que nous diviserons en trois grandes phases : (1) une phase d’émergence correspondant à l’identification de pierres taillées de type paléolithique, et surtout à la reconnaissance de leur antiquité (1869-1896/1925) ; (2) une phase de développement de la préhistoire égyptienne, particulièrement entre les deux guerres, avec l’organisation de missions européennes et égyptiennes de prospections et fouilles systématiques au sein et hors de la Vallée du Nil (ca. 1915-1960) ; et (3) un pic de recherches préhistoriques en marge de la construction du barrage d’Assouan (1960-1971), principalement menées par des équipes américaines, et qui se poursuivent jusqu’à la fin des années 1980, avant un certain essoufflement de la recherche paléolithique en Égypte malgré quelques missions récentes ponctuelles. A la suite de ce bref historique des recherches, nous nous concentrerons sur deux exemples liés à cette deuxième phase du développement de la recherche préhistorique en Égypte, les travaux menés par le Père Bovier-Lapierre dans les carrières de l’Abbassieh aux environs du Caire (1918) d’une part, ainsi que ceux menés par Edmond Vignard dans la région de Kom-Ombo (1920-23) d’autre part. Ces travaux étant abondamment cités dans la littérature récente sur la préhistoire égyptienne, nous détaillerons les contextes historiques et scientifiques dans lesquels ils se placent avant de discuter l’éclairage que ces travaux peuvent apporter sur la pratique actuelle de la préhistoire égyptienne.

 

Nathan Schlanger (École nationale des chartes) : La préhistoire impériale et l’Afrique australe au XIXe siècle

Loin de n’être qu’une simple zone de confirmation de thèses préétablies, les contrées tropicales sous domination européenne représentent un terrain constitutif de la naissance de l’archéologie préhistorique durant la deuxième moitié du XIXe siècle. Cette contribution souvent méconnue s’atteste au niveau théorique, dans des constructions de la nature humaine et ses potentialités, tout comme au niveau méthodologique ou disciplinaire, en formant le regard archéologique sur les premiers vestiges de l’humanité. En m’appuyant essentiellement sur l’histoire de l’archéologie préhistorique en Afrique subsaharienne, je propose d’identifier plusieurs moments de cette co-construction, des années 1860 aux années 1930, et d’en débattre les implications historiographiques.

 

Irina Podgorny  (Facultad de Ciencias Naturales y Museo. Univ. Nac. de La Plata, Archivo Histórico Department) : Florentino Ameghino et la préhistoire universelle, 1870-1880

Florentino Ameghino (1853-1911) fut un personnage majeur de l’américanisme et de la préhistoire, de la paléontologie et de la géologie à la fin du XIXe siècle. Né en Ligurie, élevé dans la ville de Luján en Argentine, protégé de Giovanni Ramorino, ancien participant au mouvement préhistorique de l’Italie du nord et à l’époque professeur à Buenos Aire, Ameghino à partir de 1874 se propose démontrer que l’homme des pampas était contemporain aux mammifères fossiles emblématiques du passé géologique de l’Amérique du Sud.

En 1880 il publie à Buenos Aires et Paris La antigüedad del hombre en el Plata (L’antiquité de l’homme à la Plata), un ouvrage où il confronte le modèle européen de préhistoire avec les réalités locales et la question de l’origine des habitants des Amériques. Selon Ameghino, au sein des plaines des Pampas –où il n’y eut ni cavernes, ni pierres, ni arbres – « l’homme du Grand-Tatou », comme on l’appelait en France – s’abritait sous les carapaces des tatous géants. La classification archéologique adopté par Ameghino dans cet ouvrage comprend le postpampéen néolithique et mésolithique et le pampéen paléolithique, ce dernier subdivisé lui-même en trois sous-périodes d’après les animaux caractéristiques des gisements.

La présente communication essaie de répondre à des questions comme quel usage ou non usage Ameghino fait-il du modèle européen de préhistoire dominant à la fin du XIXe siècle ? En particulier, comment le modèle transmis par Ramorino change par rapport aux modèles qu’Ameghino apprend pendant son séjour parisien entre 1878 et 1881, c’est-à-dire entre sa participation à l’Exposition universelle de 1878 et les débats sur le gisement de Chelles et la superposition du moustérien au chelléen et du robenhausien au moustérien (1880). En s’interrogeant sur l’influence de la préhistoire européenne sur la préhistoire argentine, cette communication se demande aussi comment un préhistorien des pampas est intervenu dans la construction de la préhistoire autochtone française.

 

Chloé Rosner (Lille-3, UMR 7041 ARCSAN): La possibilité d’une préhistoire locale : Jean Perrot, l’archéologie française et la préhistoire israélienne

Jean Perrot (1920-2012) arrive en Palestine - encore sous mandat britannique - à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce dernier collabore rapidement avec des figures comme René Neuville qui contribue largement au façonnement d’une "scène préhistorique" au Levant. A travers le parcours de Jean Perrot, il est possible d’interroger le rôle des institutions de recherches et des méthodes françaises dans le façonnement d’une archéologie et plus spécifiquement préhistoire israéliennes qui émergent après 1948, se concentrent institutionnellement à Jérusalem-Ouest mais se déploient à travers le nouveau territoire israélien dans un contexte particulier.

 

 

 



[1] Arcelin, A. (1870). « L’industrie primitive en Égypte », Annales de l’Académie de Mâcon, Société des arts, sciences, belles-lettres et d’agriculture, t. 9, pp. 155-188.

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